Deux sur trois – Côté Fille
Le démarrage des séances de radiothérapie n’a pas été facile.
Déjà, à cause des séances journalières, ma mère a dû revenir habiter temporairement à Bordeaux. Cela aurait dû être ma plus grande joie, de l’avoir enfin auprès de moi, mais comme je vivais toujours dans la maison familiale avec mon père, impossible de l’héberger avec moi, et je l’ai donc vue à contrecoeur louer ce studio tout triste dans une résidence d’appart’hotel. J’ai regretté de ne pas avoir encore pris mon indépendance et d’avoir un appartement où elle aurait pu se sentir mieux.
Ensuite, elle a dû aller se faire tatouer des repères en vue du démarrage des séances ; moi, je trouvais ça trop cool que ma mère soit tatouée, même si évidemment, j’aurais préféré l’emmener dans un studio de tatouage pour lui faire une belle pièce, plutôt que de la savoir dans un hôpital. Mais peu importe, il fallait voir les bons côtés, ma mère était à présent tatouée, ce qui la rendait super cool.
Avec le recul, j’aurais aimé pouvoir lui faire faire un shooting photo « bad ass », où elle aurait fièrement posé avec ses petits tatouages, ses cicatrices et son crâne rasé. Mais sur le moment, on a du mal à avoir un esprit créatif, ou encore moins à se projeter dans des projets un peu fous, tant on s’inquiète de si elle sera encore là le lendemain.
Les séances de radiothérapie étaient quelque chose de complètement abstrait pour moi : je savais que ça ne durait pas longtemps et que ça ne faisait pas mal, pourtant je voyais ma mère toujours aussi fatiguée que lors des douloureuses chimiothérapies. Un sentiment de lassitude semblait l’avoir envahie, il était de plus en plus compliqué de lui changer les idées, et j’espérais juste fort qu’elle n’abandonne pas maintenant.
Les jours ont passé, puis les semaines, et finalement, tout doucement, ma mère a semblé remonter la pente. Je me souviens même qu’à mon anniversaire, qui tombait à presque la moitié des 7 semaines de traitement, elle avait le sourire, comme si finalement elle arrivait à nouveau à penser à autre chose.
Le soleil est revenu, puis l’été, et un jour, presque sans qu’on s’en rende compte (enfin pas vraiment, en vrai on comptait tous les jours), la dernière séance est arrivée. Un soulagement incroyable, le plus gros des traitements était terminé, elle allait pouvoir enfin lâcher prise, ne plus avoir de séances de quoique ce soit, et même s’il restait l’hormono-thérapie, ça ne semblait plus rien à côté de tout ce qu’elle avait vécu.
Sa dernière séance passée, ma mère a tenu à m’emmener avec elle pour me présenter la formidable équipe de manipulateurs radio qui l’avaient suivie, et leur apporter des chocolats.
Je me souviens également de ces longs couloirs blancs, dénués de fenêtre, de tous ces enfants malades qui attendent leur tour dans les couloirs ; c’est comme si les murs de ces sous-sols hurlaient en permanence les mots « maladie » et « cancer », et je comprenais à présent pourquoi les premières séances avaient été si terribles moralement.
Mais par dessus tout, je me souviens de la joie et de la fierté de ma mère, en me présentant à tous ces gens, qu’ils soient manipulateurs ou malades, qui s’exclamaient de me rencontrer tant elle leur avait souvent parlé de moi, ces gens qui avaient partagé presque plus souvent le quotidien de ma mère que moi et qui l’avaient aidée à tenir le coup, ces gens que je ne connaissais pas et pourtant à qui je devais tant.
Deux sur trois, il ne restait plus qu’une étape du traitement ; et après tout ce que ma mère avait vécu, et surtout les épreuves auxquelles elle avait survécu, l’hormono-thérapie ne semblait plus rien d’insurmontable.